Un dimanche sur Canal + :
« Les jeux-vidéos mènent à tout. Dans les jours qui viennent, un joueur de simulation de course automobile pourra se mesurer aux meilleurs pilotes de GP1. Ce jeune inconnu a été présenté officiellement par Audi, pour participer aux tests de sélections. La démarche peut paraître surprenante. Pourtant, si le docteur Ulrich a choisi de l’éprouver, le risque doit être calculé. Pour ce gamin, il s’agit de passer du rêve à la réalité. »
Même à travers le prisme déformant de la télévision, ce passage d’un monde à l’autre sera regardé par tous. À force d’essayer de s’approcher de la réalité, le Simracing était devenu naturellement une autre voie qu’il fallait explorer. Les décideurs le savaient. Les pilotes, qu’ils soient virtuels ou réels, les ingénieurs ou les financiers. Tous nous le savions. Inéluctablement, et n’en déplaise aux sceptiques, depuis dix ans les Simracers étaient sous surveillance.
La sélection dans le sport automobile est la même que partout ailleurs. Elle est pyramidale. Au début beaucoup de pilotes, et tout en haut, les meilleurs des meilleurs. Chaque année, un ou plusieurs élus passent à la catégorie du dessus, alors que d’autres s’effacent, vaincus par la jeunesse. Dans le Simracing le processus est quasi identique. Des courses où les meilleurs se défient. Une petite différence néanmoins, ils sont quarante à se battre, sur dix courses, tous les trois mois. Le temps ne s’arrête jamais, tout va plus vite. Et il n’est pas inhabituel de participer à plusieurs championnats. Pour ceux qui cherchent les futurs Alonso, Vettel, ou Bianchi, il est tentant de jeter un coup d’œil par-dessus le mur.
Dès que les comparaisons entre le réel et le virtuel furent crédibles, les agents en quête de nouveaux talents purent épier les meilleurs de la discipline. Savoir comment ils fondent leur jugement est un secret bien gardé. Cependant il est facile d’imaginer que nous leur offrons des indicateurs de première main. De nombreuses statistiques sont disponibles et faciles d’accès. Pour chaque pilote, chaque circuit, les records du tour ; les replays de toutes les courses, vues de n’importe quelle caméra ; ou bien encore une télémétrie complète. Tout est accessible ou quasiment. Ils n’ont jamais véritablement pensé qu’il trouverait la perle rare. Mais leur boulot est de trouver celui qui a échappé aux autres. Tous cherchent un pilote qui défie les statistiques, régulier au dixième dans une série de vingt tours, apte à régler une voiture, et adroit pour remplir les rétroviseurs de n’importe qui. Alors évidemment, une veille se met en place, au cas où… Le risque n’est pas de surveiller, mais de faire signer. Car franchir le pas du réel, n’est pas une mince étape.
Au fil des années, la réalité est d’abord venue de la visibilité des Simracers. D’abord parce qu’ils ont toujours été attirés par les courses de légendes. Quel plaisir n’est-ce pas, de s’imaginer au Mans, ou sur la Boucle Nord ! Le mythe, toujours lui, attire les meilleurs pilotes. Le spectacle devient passionnant pour de nombreux spectateurs, dont les agents. D’autres ont été plus dubitatifs, tel que l’ACO ou l’ADAC, qui voyaient d’un mauvais œil que « leurs courses » soient organisées par d’autres. On a bien sûr parlé de problème de droits d’images, mais ne vous trompez pas, il s’agit bien de guerres de territoire. Chacun se bat pour l’argent des sponsors, simplement.
Le temps passait, nous devenions un acteur qu’on ne pouvait plus sortir du jeu. Il a fallu donc que chacun mette de l’eau dans son vin. Que l’attente fut longue ! Trente ans à patienter pour que le Simracing puisse être suffisamment immersif et mature, pour se mesurer au réel. Rappelez-vous du premier jeu de « simulation », Pole Position. Il fallait être mordu et imaginatif quand même ! Rappelez-vous aussi de la première voiture. En 1770, Cugnot crée une charrette capable de se déplacer sans chevaux. 3km/h, pas de freins et deux heures pour la démarrer. Deux cent cinquante ans d’évolution séparent cette « voiture » d’une GP1. A l’échelle de l’humanité, la progression est excessivement rapide. A l’échelle de l’informatique trente ans auront suffi pour passer d’un rectangle qui bouge sur une route linéaire, à des millions de polygones, du son, et du mouvement, qui innondent notre cerveau de la virtualité d’une voiture de course. Désormais le réalisme est tellement fidèle que certains doivent lutter contre le mal des transports dans les simulateurs actuels.
Il y a quelque temps encore, la retranscription de la conduite n’était que partielle. Un volant avec un retour de force, du son et de l’image, suffisaient encore en 2010. Rome ne s’est pas fait en un jour évidemment. Et pour être fidèle à la réalité, plusieurs éléments ont dû être réunis. Des étapes successives, un chemin qu’il a fallu suivre, pas à pas, année après année. Laissez-moi vous raconter cette belle histoire.
Pour commencer les serveurs et machines permettant de se réunir sont devenus de plus en plus puissants. Les développeurs ont pu s’en donner à cœur joie, et produire des détails de plus en plus nombreux, que ce soit au niveau du son ou de l’image. La vitesse et la stabilité des réseaux n’ont pas arrêté de progresser. Il est devenu impensable d’obtenir des temps de réponses aux serveurs supérieurs à la milliseconde. D’ailleurs pour supprimer le risque de déconnexion, les meilleurs pilotes utilisent des connexions sécurisées sur deux lignes informatiques disctinctes.
Du côté des circuits, un énorme pas en avant a été réalisé en 2019. Jusqu’alors les circuits étaient modélisés à partir de GPS, de laser et de photos. Mais une équipe de passionnés, Virtua_LM a mis au point la machine la plus aimée de la communauté virtuelle : l’ « Enhanced Track Modelisation Engine ». Un acronyme aussi barbare que le surnom est évocateur : La « Goudronneuse ». L’idée est pleine de bon sens. La surface en contact avec le pneu n’est jamais la même. La piste est constituée de graviers agglomérés les uns contre les autres. Hauteur, position, couleur ou forme, chacun est différent. Or l’adhérence naît de ce simple contact. En plaçant deux scanners disposés dans un angle précis, il était possible de numériser la surface en 3D. Associée à une position GPS et un peu de calcul informatique, le grip à n’importe quel endroit, pouvait ainsi être calculé précisément.
Un bémol cependant, le prototype avait été bricolé avec des moyens limités. Il était fonctionnel, mais capable de ne scanner que de très petites surfaces. Il a néanmoins montré le chemin à suivre. Michelin n’a pas été long à s’y intéresser, et a financé la deuxième « goudronneuse ». Cinq mètres de large, et 100 m² à la minute. Et profitant des périodes sans voiture durant la semaine des 24 heures de Juin 2019, les 13 kilomètres du circuit ont été avalés et modélisés en cinq jours. Mine de rien, cette découverte laissait entrevoir une belle évolution dans le Simracing. Des recherches pouvaient enfin débuter autour de la relation complexe du pneu avec la piste.
Du côté politique, le groupe Volkswagen était convaincu qu’il était contre productif de voir courir des Audi contre des Porsche. Il fut donc décidé qu’à partir de 2020, les clés de l’épreuve seraient progressivement cédées à Porsche. Dans le panier de la mariée, Porsche fut tout heureux de pouvoir profiter de la piste modélisée l’année précédente par Virtua_LM et Michelin. La course ne s’arrêtant jamais, de nouveaux pneus furent conçus. Michelin espérait que le travail fourni dans les ingénieries, la piste et le simulateur pourrait refléter fidèlement la réalité. Auparavant les équipes se servaient d’un simulateur pour apprendre les circuits qu’elles découvraient. Chez Porsche désormais, le simulateur intégrait les nouvelles pièces, pour en tester l’efficacité à l’aune du grip de cette piste virtuelle.
Il n’est un secret pour personne qu’Audi voulait non seulement faire son entrée en GP1, mais aussi gagner dès sa première saison. L’équipe du Dr Ullrich était courtisée depuis quinze ans par Mister E., puis par Luca et Flavio. Associé à Michelin, Audi a pu offrir à son partenaire historique, une belle vengeance envers la FIA, en posant comme condition de leur arrivée, la suppression du pneu unique. Pour le Dr Ullrich, il était juste inconcevable de rouler avec des pneus en bois, alors que Michelin avait toujours été un fournisseur de victoire depuis des décennies. Requête acceptée bien sûr mais ceci est une autre histoire.
Audi ou Porsche sont des industriels de la course. La simulation n’est qu’un outil efficace pour aider la réalité. Ils ne sont pas philanthropes. La référence restera toujours du côté de la réalité. En début de saison, les pilotes qui conduisaient le simulateur pour la première fois étaient très éprouvés. Physiquement et surtout mentalement, les pilotes ont mis deux mois à s’habituer. Car même si dynamiquement les mouvements de caisses étaient parfaits, il manquait, et il manquera toujours l’étincelle de peur, de mise en danger que seule la réalité procure. Les temps sont descendus au fur et à mesure, jusqu’à la barrière symbolique des deux cents secondes au tour, comme ça, l’air de rien. La vitualité touchait alors la réalité.