« Allo papa, ça y est ! Ils viennent de téléphoner !
– Alors ? Qu’est ce qu’ils ont dit ? C’est bon ?
– Evidemment que c’est bon ! Je serai au Castelet la semaine prochaine pour trois jours d’essai. Tu te rends compte ? Cette fois-ci, on y est ! On y est vraiment !
– Bravo petit gars. Oui, on y est ! »
Après dix ans, ce sont bien des larmes que chacun verse. Larmes des souvenirs passés, de sacrifices et de travail. Dix ans à se battre avec d’autres pilotes, à avoir plus faim qu’eux. Des victoires, ils en ont tous eues, pourtant celle-ci a une autre saveur. Les SimRacers tant décriés par le passé, marchent inexorablement sur la même piste que les RealRacers. La voie est ouverte, mais il ne faudra pas longtemps. D’autres SimRacers emprunteront le même chemin, et prendront les quelques places tant convoitées.
Quarante ans qu’elle durait, cette guerre, arrangée par des Gentlemen. Mr E. avait toujours attisé le feu pour que les caméras reviennent toujours à la Formule 1. Pendant quarante ans, il l’a dirigée à la demande des équipes qui le voyaient comme un fédérateur. Chacune d’elles se battait pour être la meilleure, et n’avait pas de temps à consacrer à autre chose. Bernie s’est chargé de transformer ce championnat de garagistes en l’organisation qui a aspiré le plus de dollars au monde. Et pour qu’elle se tienne debout, il en faut des sponsors. Bernie en a vu défiler un grand nombre. Des financiers, des médias, des dirigeants de pays. L’équivalent des Jeux Olympiques, et qui se déroulaient deux fois par mois. Tous voulaient en croquer. Seulement tous les trois ou quatre ans, ils disparaissaient au gré des changements de direction stratégique des entreprises. On se souvient tous de Honda qui quitta l’aventure, avec pourtant dans ses cartons, une voiture championne du monde. Il en a tellement vu passer.
Quand Bernie a eu ses soucis de santé, fin 2017, une solution pérenne pour sa succession devait être trouvée. Le monde de la F1 s’y attendait, mais ne parvenait pas à s’y résoudre. Une page se tournait. Un binôme fut choisi pour reprendre les rennes de la F1. Flavio Briatore pour la partie commerciale, et Luca Di Montezemelo pour la partie politique. Pour marquer le changement d’ère, quoi de mieux qu’un nouveau nom. Un changement de marque pour marquer une différence, favoriser le spectacle, sur la piste, tout en contenant les coûts. Un équilibre incertain qui suscite beaucoup d’espoir. D’autant que la télévision n’était plus le média privilégié pour la diffusion mais Internet. La F1 devenait le GP1. Attiré par le rêve de ces voitures surréalistes, le GP1 suscitait de l’excitation auprès des fans et des suiveurs. Les services marketing des grosses entreprises ont toujours été capables de mettre des sommes déraisonnables pour de la visibilité. Tout le monde est content. Le Public, les écuries, la FIA, les financiers, la FOM, surtout la FOM. L’argent écoute ceux qui le possèdent.
Sauf que la F1 était déjà mourante. La faute à qui : tout le monde et personne. Peu à peu, elle s’est essoufflée. Les voitures étaient développées par des centaines de personnes grâce à des souffleries qui tournaient sans discontinuer. Le constat était terrible. Les voitures n’étaient plus capables que de se suivre, incapables de se doubler sur la piste. En y repensant, nous devions nous contenter du pauvre spectacle qu’affichait notre télévision, et espérer que la pluie arrive pour empêcher la sieste. La tentative de dépassement entre Senna et Prost à la chicane de Suzuka, qui a fait couler tant d’encre, n’aurait jamais pu arriver entre 1995 et 2012. Il fallait que le changement de nom de la formule soit parallèle avec un vrai changement. Survivre ou mourir vite. Flavio a tout de suite vu la nouvelle voie émergente qu’était le SimRacing. Il a rapidement compris l’intérêt de mettre des « faux » pilotes dans des voitures de courses. D’abord ça ferait du buzz, les médias en parleraient. Ensuite ça remettrait les pieds sur terre aux pilotes qui se croient seuls capables de piloter une GP1. La loi de l’offre et de la demande. Moins il y a de pilotes, plus ils sont chers et vice versa.
Il fallait juste qu’il puisse contrôler le fait que ces pilotes doivent partir aussi rapidement qu’ils sont venus. Un peu comme pour la « real Tv » où chacun des participants sait qu’il n’a de visibilité que pour un an. Sortir un pilote, le faire rouler, et quand il aura été bien essoré par des pilotes, des vrais, on dira qu’il n’était pas suffisamment bon, et il sortira. Mais que, heureusement, on a entendu dire que l’année prochaine, un nouveau aurait été découvert. Il serait encore plus prometteur, plus incroyable sans aucun doute, qu’on n’aurait jamais vu cela. Bla, bla, bla. Du remplissage gratuit, et de la visibilité pour le GP1. Business is Business.
Tout le monde connaît les règles finalement. Les naïfs se feront manger et les autres s’engraisseront. Mais est-il aussi innocent qu’il n’y paraît ?